Chef de service de psychiatre à l’hôpital Laquintinie, il dresse le portrait des personnes susceptibles de passer à l’acte et appelle à ouvrir les yeux pour prévenir d’éventuels cas de suicide.
Qu’est-ce qui peut expliquer qu’une personne apparemment saine d’esprit décide de mettre un terme à sa vie?
Le problème de la douleur psychique est qu’elle est sourde, elle est muette, elle travaille dans la profondeur de l’esprit. Souvent on l’ignore soi-même, sinon on la masque pour maintenir son honneur, tenir la façade, une fois qu’elle jaillit, elle fait un mal insoupçonné. Mais aussi, personne n’a jamais voulu se tuer. En général, celui qui essaie de se suicider essaie juste d’échapper à une souffrance qu’il ne parvient plus à gérer. Il mérite de l’aide !
Dans quel état d’esprit se trouve un sujet suicidaire au moment de passer à l’acte ?
Il faut savoir que 10% des schizophrènes dans le monde meurent de suicide. Nous savons que la schizophrénie est cette maladie mentale qui entraîne des hallucinations, des troubles du raisonnement, des idées délirantes…et une personne avec ce type de trouble peut avoir l’impression qu’elle a des pouvoirs divins et s’exposer à une mort certaine.
Dans un autre cas de figure, on trouve les sujets victimes de dépression mentale ; ils souffrent abondamment, ils n’ont plus de ressources émotionnelles et intellectuelles pour gérer la pression et la souffrance qu’ils vivent, et voilà que s’impose à eux de manière maladive, l’inéluctable voie de l’autolyse.
La décision de se suicider se construit surement pendant un certain temps ; quels sont les signes qui peuvent montrer qu’une personne a des tendances suicidaires ?
En dehors de ce qu’on appelle Raptus suicidaire (le fait qu’on se suicide de manière brutale et sans préparation), la grande majorité des suicides sont -comme vous le dites- des activités planifiées par le sujet. C’est d’ailleurs une opportunité très intéressante pour nous parce que ça voudrait dire qu’on peut anticiper la situation. Le sujet qui veut se suicider laisse parfois une lettre, il fait parfois des adieux, il distribue parfois ses biens (surtout chez les seniors), il a un discours pessimiste et sans projet…
la grande majorité des suicides sont des activités planifiées par le sujet.
Dr Christian Eyoum, psychiatre
Quelle posture adopter face à une personne qui veut se suicider ?
Il faut adopter la posture de l’aidant. Il ne faut pas juger. Il faut prendre toutes les dispositions pour limiter le risque : éloigner les médicaments, éloigner les objets tranchants, limiter les accès aux endroits comme les puits, les toilettes traditionnelles, les ponts, les balcons… il faut être soutenant, et surtout demander l’aider d’un professionnel de santé formé.
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Comment faire pour l’en dissuader ?
Il faut déjà montrer à la personne qu’on est là pour elle ; lui montrer qu’on comprend la détresse, mais qu’on ne souhaite pas son départ. Il faut montrer de l’empathie…
Combien de cas de personnes voulant se suicider recevez-vous par an ?
Dans une étude que nous avons menée en 2017, nous avons noté que 24% des étudiants interrogés ont déjà eu des pensées suicidaires. Ces étudiants n’ont pas demandé de consultation. Je vous laisse deviner comment sont ceux qui demandent à consulter pour cela.

En quoi consiste la thérapie ?
La thérapie est basée sur le modèle bio-psycho-social.
Les aspects biologiques concernent la maîtrise de la douleur, de la souffrance physique ; la mise en route des antidépresseurs et autres médicaments indiqués.
Les aspects psychologiques concernent le travail sur les ressources de la pensée et des émotions, sur les traumatismes, sur la charge affective… afin de modifier les schémas de pensée et les sensations du sujet
Les aspects sociaux concernent la protection sociale, l’enveloppement familial, le repos maladie, l’éventuel changement de métier…